Coronavirus. Réquisitionnées puis oubliées, les cliniques privées de Rhône-Alpes ont le blues

Au début de la pandémie, les cliniques de la région ont été réquisitionnées. Mais les 4 gros CHU de Rhône-Alpes ont fait face. L’appel au privé s’est fait au compte gouttes. Un manque à gagner énorme pour ces établissements. L’Etat a fait un fait un geste en octroyant des avances sur trésorerie.

 

Depuis la mi-mars, la «guerre» contre le coronavirus a été déclarée par le président de la république. Tous les établissements de santé, publics comme privés, ont été réquisitionnés pour cette lutte.
En Rhône-Alpes, l’hôpital public s’est «débrouillé seul» la plupart du temps, laissant les cliniques privées quasiment sans activité. Au moment où la pandémie semble faiblir et le déconfinement se profiler, les établissements et les médecins privés tirent la sonnette d’alarme.


Les cliniques ont-elles été sous-employées ?
«Dès l’annonce présidentielle, nos établissements ont respecté à la lettre la demande des autorités de santé, c’est-à-dire l’arrêt immédiat de toutes les chirurgies programmées non urgentes, la mise à disposition de matériels et personnels, et quand cela était possible de chambres prévues pour accueillir des patients Covid» explique Jean-Loup Durousset, président du groupe Noalys. 
Il gère 5 établissements de santé privée en France dont 4 en Rhône-Alpes : 2 cliniques Natécia à Lyon et Rilleux-la-Pape, le Centre d’Endoscopie du Nord Isère à Bourgoin-Jallieu, et la clinique des Côtes du Rhône à Roussillon en Isère.


Concrètement, qu’avez-vous fait ?
«Le Centre d’Endoscopie de Bourgoin-Jallieu a été complètement fermé. Dans la métropole de Lyon, les deux cliniques Natécia se sont concentrées sur leur activité maternité : globalement 50% de notre personnel soignant en chômage partiel.
A Lyon, nous avons préparé une aile spécifique «Covid» avec 14 chambres. Et sur la clinique Côte du Rhône, nous avons seulement conservé la moitié des lits du service de médecine (15 lits sur 30) et ouvert un centre de diagnostic Covid».

Est-ce que les autorités de santé ont fait appel à vous ?
«On a fait appel à nous, mais au compte-goutte… Sur Nord-Isère, l’établissement était fermé, mais nous avons prêté du matériel à l’hôpital public de Bourgoin-Jallieu. Dans le sud Isère, Côte du Rhône a accueilli quelques patients avec des symptômes légers. La clinique de Roussillon a également prêté du matériel et a détaché un médecin anesthésiste à l’hôpital de Vienne. Sur la métropole de Lyon, nous avons accueilli «une poignée» de patients Covid dont deux qui nous ont été transférés du public».

Ça semble peu.
«Oui, pourtant, il y avait des échanges réguliers avec les autorités de santé et nos confrères du public, et à chaque fois, nous leur avons proposé de les aider. Mais visiblement, la stratégie était de nous garder uniquement en «deuxième intention», ou seulement si les établissements publics arrivaient à saturation, ce qui n’a pas été le cas en Rhône-Alpes».

C’est une bonne chose qu’il n’y ait pas eu de saturation en Rhône-Alpes…
«On peut se féliciter que notre région ait une structure hospitalière publique solide avec 4 gros CHU et suffisamment de lits de réanimation. Mais je veux juste rappeler que les structures privées sont tout aussi importantes dans la région. J’aurais préféré que nous partagions la «charge Covid» de façon plus équitable entre le public et le privé, mais je constate que nous avons été sous-employés».

Ce sous-emploi va générer de grosses pertes pour vous ?
«L’annulation des activités programmées comme les chirurgies va générer d’énormes pertes, que ce soit pour les hôpitaux publics comme pour les cliniques. Nous sommes des entreprises privées et notre fonctionnement dépend uniquement de notre chiffre d’affaire. Avec cette crise et le quasi-arrêt des cliniques, toutes les structures privées sont potentiellement en déficit pour 2020».

De combien a chuté votre chiffre d’affaire ?
«Avec ce fonctionnement depuis le 16 mars et jusqu’au 11 mai… Pour Bourgoin-Jallieu fermé depuis mi-mars, c’est 100% de perte. Pour Roussillon, on a limité la casse en conservant les lits de médecine, mais je pense qu’on a perdu 50%. Quant aux deux cliniques de la métropole de Lyon, même en conservant l’activité maternité, on a perdu au moins 70%…».

Le gouvernement a tout de même promis des aides aux cliniques ?
«Oui, le ministère de la santé nous fait une avance de trésorerie calculée mensuellement sur nos activités de soin. La profession est en train de négocier pour que cette avance (que nous devrions rembourser) se transforme en dotation globale, pour palier complètement la non-activité».

Ça devrait suffire pour vous éviter la faillite ?
«Si ça se fait… Et encore… Cette dotation ne prend pas en compte les recettes complémentaires «hors soin» (comme par exemple les chambres louées à la famille d’un malade) qui comptent tout de même pour 20% de notre chiffre d’affaire».

Vous attendez le déconfinement et la reprise avec impatience ?
«Oui, même si l’activité ne reprendra pas d’un coup de «baguette magique» comme avant… Cela va être progressif. Je pense aussi aux médecins qui travaillent avec nous. Ce sont en grande partie des libéraux, et depuis mi-mars, ils sont sans activité et donc sans revenus. Certains ont des cabinets qu’ils ont fermés. Leur personnel est au chômage partiel… La reprise sera forcément très fragile, et dépendra aussi de la maîtrise de la pandémie qui peut potentiellement repartir pour une deuxième vague…»

Le blues du chirurgien…

(ce chirurgien a préféré rester anonyme).

«Je travaille comme chirurgien libéral dans deux cliniques de l’agglomération lyonnaise. Elles ont réduit leurs activités pour se concentrer uniquement sur les urgences. Je me suis mis à disposition pour effectuer des gardes, mais je n’ai pour l’instant, jamais été réquisitionné. Ma spécialité comporte peu d’actes liés à l’urgence, donc depuis le 16 mars, je n’ai plus touché à un bistouri. En tant que libéral, je suis comme un chef d’entreprise… Pas d’activité, égale pas de rémunération. Pourtant, je continue à payer des charges, des assurances professionnelles très élevées, et le loyer de mon cabinet qui lui aussi est fermé. Je suis pour ma part très inquiet pour la suite…
J’ai mis en place une téléconsultation pour assurer le suivi des patients que j’avais opérés avant le confinement et pour essayer de reprogrammer d’autres chirurgies après le 11 mai. Mais je n’ai en fait aucune vision claire sur le redémarrage de mon activité.
D’une part, je sens que les patients ne sont pas très pressés de se retrouver en milieu hospitalier, d’autre part, les autorités de santé sont très vagues quant à la reprise des chirurgies programmées non urgentes. Là encore, cela va être progressif, et dépendra de plusieurs paramètres : il peut y avoir des restrictions sur le matériel et les médicaments (notamment les produits anesthésiants) que les autorités de santé peuvent vouloir conserver en réserve, au cas où…
Ma spécialité n’étant pas complètement liée à l’urgence, je peux aussi subir une restriction d’indication opératoire plusieurs semaines après le 11 mai, et donc ne pas reprendre le bistouri de sitôt…»

Par F. Llop
Publié le 24/04/2020 à 19:19
France 3 Auvergne-Rhône-Alpes